La dédollarisation du monde est en marche. Tout profit pour l’or ?
Depuis quelques années, on assiste à une défiance de plus en plus grande vis-à-vis du billet vert. La part du PIB mondial exprimée en dollar est descendue pour la première fois sous la barre des 15% après avoir été longtemps au-delà des 20%. Un lent mouvement s’est formé, mouvement dans lequel l’or jouera un rôle majeur.
Un peu de contexte
Juillet 1944, la seconde guerre mondiale n’est pas encore tout à fait terminée que déjà la plupart des nations envisagent la reconstruction d’après-guerre. Echaudés par l’expérience de la grande guerre et surtout par la crise boursière et financière de 1929, 44 états se rencontrent à Bretton Woods aux États-Unis afin de définir la politique économique et monétaire à adopter dès que l’armistice aura été signé.
À l’issue de cette conférence de trois semaines, deux organismes voient le jour : la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) et le Fonds Monétaire International (FMI). Mais la principale décision qui découle des accords de Bretton Woods est l’organisation du système monétaire mondial autour du dollar américain avec un rattachement nominal à l’or.
En instaurant le dollar comme monnaie de référence, les États-Unis entendaient conforter leur position dominante sur l’économie mondiale et, au niveau politique, asseoir leur domination sur les pays européens ravagés par la guerre, les empêchant d’adopter des politiques trop à gauche, voire basculer dans le communisme.
C’est à Bretton Woods que fut créé le Gold-Exchange Standard fondé sur le seul dollar américain. Toutes les monnaies sont définies en dollar et seul le dollar est défini en or. Cette disposition a permis aux USA de jouer le rôle de gendarme monétaire pendant les 30 glorieuses.
Las, l’inflation née à la suite de la course à l’espace et aux dépenses colossales liées à la guerre du Viêt Nam auront raison des dispositions nées à Bretton Woods au moment du premier choc pétrolier. Les pays exportateurs vers les USA accumulèrent d’énormes réserves de dollars qui leur conférèrent le droit d’émettre l’équivalence dans leur propres monnaies, encourageant ainsi une inflation galopante. La plupart des pays demanderont alors aux USA de rembourser leurs dollars excédentaires en or et ces derniers s’y opposeront, suspendant la convertibilité du dollar en or.
Le principe d’extraterritorialité du dollar
Conséquence directe des accords de Bretton Woods, le dollar domine depuis lors les échanges économiques et financiers internationaux. Aujourd’hui encore, le dollar est utilisé dans plus de 40% des paiements à l’échelle mondiale et représente plus de 60% des réserves officielles de change.
Les États-Unis ont instrumentalisé le dollar et son hégémonie selon leurs intérêts et en ont fait une arme de dissuasion. C’est ainsi qu’ils se sont servis du dollar pour imposer l’extraterritorialité de leur propre droit. Un juge américain peut tirer parti de l’utilisation du billet vert pour engager des poursuites judiciaires au motif du lien de rattachement direct aux États-Unis. Grâce à ce principe, les Américains peuvent imposer des sanctions unilatérales aux entreprises et aux États qui ne se conforment pas à leur desideratas. À titre d’exemple, Siemens a payé 800 millions de dollars d’amende en 2008 pour violation de la loi américaine contre la corruption d’agent public à l’étranger.
L’Ukraine comme point de départ ?
À l’issue du conflit qui a vu s’opposer Russes et Ukrainiens pour le contrôle de la Crimée en 2013, les États-Unis ont, toujours sous couvert de ce principe d’extraterritorialité, sanctionné durement l’état russe. Taxe à l’exportation, interdiction de commerce et amendes salées aux contrevenants furent les représailles du monde « libre » vis-à-vis de Moscou.
Ces mesures prises par l’administration Obama n’ont pas plu au maître du Kremlin et ont constitué le départ d’une crispation vis-à-vis des États-Unis et de leur billet vert. Cette crispation a trouvé écho auprès du gouvernement chinois, pour le moins lassé de devoir toujours s’en remettre au dollar, monnaie d’une économie nettement moins florissante que la sienne. De plus, le gouvernement chinois entendait promouvoir l’utilisation du Yuan dans les échanges mis en place dans le cadre des nouvelles routes de la soie.
C’est ainsi que Russes et Chinois se sont mis à table pour envisager une alternative à la domination du dollar et qu’un premier traité commercial entre les deux puissances a été signé ! Ce traité permettait aux Chinois d’acheter du pétrole russe en le payant en Yuan, chose alors tout à fait inédite.
Ce premier traité a été suivi de beaucoup d’autres et désormais, la part du dollar dans les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine est descendue sous les 50% alors qu’elle était encore supérieure à 90% fin 2015.
Le mouvement fait tache d’huile
Chinois et Russes ont lancé le mouvement et bien vite, ils ont été imités par d’autres pays qui souhaitaient également s’affranchir du dollar. La zone Euro, l’Iran, l’Inde entendaient utiliser leur monnaie pour le commerce de l’énergie. Cette démarche était par ailleurs favorisée par l’accession à la maison blanche de Donald Trump.
Ce dernier, sous couvert de son slogan « Make America great again » mit sur pied un protectionnisme en bonne et due forme, favorisant les entreprises américaines au détriment des importations. Si les résultats ont été bénéfiques à court terme, cette politique a contribué à accroître le ressentiment général vis-à-vis du dollar.
Ce désaveu, encouragé par une économie américaine mal en point à la suite de la crise sanitaire liée à la Covid-19 et par une administration Biden qui annonce un plan de sauvetage de 2000 milliards, pourrait accélérer la dédollarisation du monde.
C’est dans cet esprit que se sont développés ces dernières années plusieurs systèmes de paiement qui autorisent le commerce international sans se soumettre au contrôle américain. Swift n’est plus la seule plateforme au monde où les échanges ont lieu.
Et l’or dans tout cela ?
Parallèlement à cela, on assiste à une ruée vers l’or sans précédent. Russes et Chinois ont augmenté massivement leur réserve et il en va de même pour les pays de la zone Euro, certains pays d’Asie et bien d‘autres encore.
Attardons-nous sur le cas chinois ! Depuis la crise bancaire de 2008, le gouvernement de Pékin, par l’entremise de la Banque Populaire de Chine, a considérablement augmenté ses réserves de métal jaune.
Certes la Chine n’a pas l’intention de reprendre le rôle joué par les États-Unis et encore moins d’adosser le Yuan à l’or. Par contre, elle accumule l’or pour asseoir la crédibilité de sa devise et ce pour trois raisons :
- Diversifier ses réserves de change. L’or ne représentait que 3% de ses réserves de change fin 2019.
- Exercer des pressions à la baisse sur le taux de change du Yuan : pour acheter de l’or, la Chine doit vendre du Yuan et donc, cela en fait baisser le cours.
- Last but not least : acheter de l’or permet à la Chine de renforcer la crédibilité de sa devise. L’objectif avoué est de faire entrer la République Populaire dans le club des pays dont la monnaie a acquis le statut de monnaie de réserve. Ce faisant, la Chine aurait alors le privilège de financer sa croissance à crédit grâce à une dette publique constituée à un taux très faible et pratiquement illimitée.
Si le Yuan ne représente pas encore grand-chose dans les réserves de change mondial, il a toutefois acquis en 2016, au détriment de l’Euro, le statut de devise constituant une réserve de change importante auprès du FMI.
Pour la Chine, accroître son stock de métal jaune est obligatoire si elle souhaite que le Yuan s’internationalise et ainsi lui permettre de peser plus lourd face à ses concurrents.
Si les échanges internationaux se bipolarisent ou deviennent multipolaires, les réserves d’or chinoises permettront au Yuan de jouer un rôle prépondérant dans le nouvel ordre monétaire mondial.
Pour conclure
Certes, le monde ne se fait pas en un jour et la dédollarisation des échanges planétaires ne se fera pas en quelques mois. Il y a fort à parier que nous allons assister à l’avènement d’une économie mondiale a plusieurs pôles où Dollar, Euro et Yuan se tailleront la part du lion pour autant que ce dernier réussisse son internationalisation. Dollar et Yuan joueront alors leur rôle de monnaie d’échange pour l’énergie et le pétrole.
Bien entendu, le prix de l’or et du baril n’est pas encore exprimé en Yuan sur les places boursières mondiales et ce n’est pas demain la veille, mais toute révolution a commencé par un premier pas.
La « dédollarisation » de l’Europe et de l’Asie prendra du temps et l’or y jouera un rôle prépondérant. Tout investisseur en métal jaune y sera par conséquent très attentif.
Sources :
- Wikipedia : les accords de Bretton Woods
- Emission « C’est cash » du 21 février 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=TUeiERUC_M8
- Article : La Chine achète de l’or, une première depuis plus de deux ans in Les Echos du 09/01/2019
- Article : La dédollarisation est la clé du prochain cycle in Le temps du 23/06/2019